Toi moi et les autres

Vous savez déjà que je rejette totalement la soi-disant "différence naturelle" entre hommes et femmes d'un point de vue social. Vous savez aussi que je n'aime pas les modèles préétablis et obligatoires, et que j'aime bien les questionner pour voir à quel point ils sont solides... ou pas. Aujourd'hui, je vous propose de dynamiter le couple.

Avertissement : Quand je dis "le couple", j'entends ici le couple hétérosexuel fidèle et exclusif, ce modèle que la société patriarcale a défini comme la base de la famille, qui serait elle-même la base de l'individu. Je suis tout à fait au courant qu'il existe bien d'autres formes de couples, et d'ailleurs quel que soit votre fonctionnement je ne suis pas là pour vous dire que ce que vous faites est bien ou pas. Votre vie amoureuse et sexuelle ne regarde que vous, je ne peux pas savoir ce qui vous convient, ici je vais juste parler en mon nom. Alors ne vous sentez pas agressé-e-s si vous êtes en couple par exemple, ce n'est pas du tout mon but. J'ai juste envie de proposer des alternatives au modèle dominant, pour faire réfléchir.

Je suis polyamoureuse.

Je considère que l'amour n'est pas divisible, mais qu'on le ressent, simplement, et qu'on peut le ressentir pour plusieurs personnes en même temps, de la même façon qu'un parent aime tous ses enfants, ou qu'on aime tous nos amis. Je pense que chaque relation est différente, parce que toute personne est différente de l'autre.

Je pense que l'amitié est aussi de l'amour, mais que pour d'obscures raisons on ne veut pas l'appeler comme ça. Je trouve que c'est un peu étrange de faire une démarcation nette entre "amis = personnes qu'on aime sans avoir de relations sexuelles" et "amoureux = personnes qu'on aime et avec qui on s'envoie en l'air". Je me demande où on case les relations éphémères, les sex friends et les amitiés fusionnelles sans relations sexuelles. Je me demande d'ailleurs quelle est la définition d'une relation sexuelle, du coup (j'y reviendrai un jour). Je trouve un peu triste de résumer "l'amour le vrai" à une relation sexuelle (généralement hétérocentrée). Je sais qu'on peut aussi avoir de très chouettes relations sexuelles avec une personne sans être amoureuxse. Du coup je trouve que les définitions carrées de "ma copine / mon copain" sont restrictives et ne définissent absolument pas la diversité des relations possibles. C'est donc difficile pour moi de définir ce que j'entends par "relation amoureuse". Donc je ne définis rien.

Je me demande de quel droit on dispose du corps de l'autre dans un couple. Par amour ? Je me demande quel amour est excuse à la restriction de la liberté d'une personne qu'on aime. Je trouve que c'est un drôle d'amour, celui qui veut enfermer l'autre. J'ai plutôt tendance à aimer les gens libres, dans leur corps et dans leur tête. J'ai envie qu'on m'aime libre, pas qu'on m'enferme. Alors je ne vois pas pourquoi j'infligerais des obligations d'exclusivité à une personne que j'aime.

Je trouve que c'est un fait étrange que notre société admette très bien qu'on aie plusieurs relations amoureuses dans notre vie, mais pas en même temps. Je me dis que si je rencontre quelqu'un de génial demain, que j'aie déjà une relation ou pas ne devrait pas interférer avec la relation que je vais bâtir avec cette nouvelle personne. Je me demande combien de personnes ont déjà loupé beaucoup de joie dans leur vie parce qu'ils étaient déjà en couple, et se sont donc interdit de vivre une belle histoire. Je trouve que quitter quelqu'un pour pouvoir entamer une nouvelle relation est atrocement douloureux, et je ne vois pas pourquoi j'infligerais ça à ma relation actuelle ainsi qu'à moi-même, si je n'ai aucune autre raison de le faire.

Je pense qu'on est composé-e-s de plein de choses différentes, dans nos goûts, dans nos idées, dans nos loisirs, et je vois pas pourquoi on devrait se restreindre, se fermer l'esprit à la découverte de quoi que ce soit. Donc y compris d'autres personnes. Je ne pense pas qu'il existe sur Terre une seule personne qui puisse combler totalement une autre dans tous les domaines. Je pense qu'il y a toujours des parts de nous qu'on partage avec d'autres personnes, notre mère, notre frère, notre pote Untel ou notre amie Bidule. Je pense donc que si on veut pouvoir partager tout ce qui nous compose (bien sûr il y a aussi des choses qui ne regardent que nous), on a besoin de plusieurs personnes. Et je vois pas pourquoi l'amour et la sexualité feraient exception.

Je comprends la jalousie et il m'arrive de la ressentir, il m'arrive d'avoir peur d'être abandonnée, qu'un-e autre soit préféré-e. Mais je sais aussi me réjouir pour la personne que j'aime qui a une autre relation, parce que ça veut dire que cette personne est heureuse, amoureuse, et j'ai envie que les gens que j'aime soient heureux, le plus possible. J'ai pas envie de les enfermer sous prétexte que je pourrais leur apporter tout ce dont ils ont besoin. Je n'ai pas cette prétention. Je sais que d'autres personnes peuvent les rendre heureux aussi, de façons différentes, et j'ai envie qu'ils soient heureux de toutes les manières possibles.

Je pense que la seule personne avec qui on partage tout et avec qui on vit toute notre vie, c'est nous-même. Et que donc c'est illusoire de penser qu'on puisse tout partager avec une autre personne. Je pense que notre vie est plutôt comme un chemin dans la jungle des possibles, et que parfois d'autres chemins côtoient le nôtre. Alors on fait un bout de chemin ensemble, aussi proches qu'on veut, et on marche aussi longtemps côte à côte qu'on veut. On s'apprend, on échange, on se soutient et on s'aime. Et les chemins peuvent durer un jour ou toute une vie, ils sont aussi chouettes, et on ne peut pas s'en vouloir de ne pas avoir pu mener le partage plus loin. On est composé-e de tous les ingrédients que la vie met sur notre route, et comme pour la sauce, avec plusieurs ingrédients, on obtient quelque chose de plus harmonieux, plus équilibré.

Je vis en polyamour, j'ai plusieurs relations en même temps, j'ai des amis, des amours, des amants, et ce qui se passe entre l'autre et moi ne regarde que nous. Je suis sincère, je dis ce que je ressens et ce que je vis, mes relations savent où j'en suis. On a confiance les uns dans les autres, et si ça flanche, on se remonte. Personne n'est parfait-e et on doute souvent, moi aussi. Mais on se rassure, on parle, et on revoit toutes les raisons pour lesquelles on ne veut pas des barrières. On a conscience que l'idée de l'exclusivité nous a été transmise via le schéma centenaire du couple hétérosexuel. On n'a pas envie de s'enfermer dans ce schéma, les définitions ne nous intéressent pas, on veut juste vivre ce que la vie nous offre. On sait que certaines personnes ont une nature plus exclusive que d'autres, mais on aimerait que personne ne se sente enfermé-e. On aimerait que tout le monde aie le choix. Etre exclusif-ve ou non. Et qu'on puisse changer d'avis à ce propos quand on veut, selon ce que la vie nous réserve.

Je sais que je peux être heureuse en couple, je sais que je suis aussi très heureuse en polyamour, voire plus car plus j'ai de bonheur et d'amour mieux je me porte (bizarrement). Je sais que chaque relation est différente et que chaque personne m'apporte des choses différentes. Je sais que ma seule contrainte est le temps. Je connais l'importance de la sincérité. Je connais la difficulté de remettre en question un schéma qui me fait perdre toute confiance en moi dès qu'une personne que j'aime a une autre relation. Ce n'est pas facile tous les jours, mais j'apprends, et je sais que la joie que je retire de mon travail d'éradication interne des modèles est largement supérieure à la peur.

Je suis polyamoureuse, je suis heureuse, je suis libre.

Et non, ce n'est pas une nouvelle tendance ("qui me passera" diraient certain-e-s).

Pour approfondir, l'article de l'Elfe est excellent. Je vous le recommande très chaudement.

Des questions ?

Comments

[Dionysia]

Je suis drôlement contente de lire cet article, et je suis très contente aussi pour toutes les personnes qui commentent -ou pas ) et à qui ça fait apparemment du bien de voir qu'elles ne sont pas seules.

Je crois que cette expérience ne peut pas se vivre bien sans un minimum de "travail sur soi" (pas forcément dans le sens d'aller faire une psychanalyse, hein, mais dans le sens être à l'écoute de soi même, coller à ses propres limites, en gros, se connaître) et je considère que c'est le cadeau-surprise. C'est vraiment chouette de se mettre au clair avec soi-même et avec les autres, c'est un pas qu'on peut redouter (certains ne le font jamais T_T) mais vivre ça sans avoir à faire des tas de mensonges, c'est chouette. En couple on peut encore se mentir (mais c'est dommage), tandis que là il faut oser se livrer...à soi-même.

Je crois que derrière la moindre marque d'amour, quelque soit le contexte (couple classique, ou autre) il y a ce qui me paraît être l'amour fondamental, l'amour universel (peut-être quelque chose qui ressemble à l'agapè). Ce qui est chouette dans l'amour, et peut importe comment il se réalise, c'est quand on ressent cette dimension.

(J'aime les shoots d'agapè !)



Vous avez déjà lu "Je t'aime, une autre politique de l'amour " de Cespedes ? Je vous le recommande.

[Melle Piou Piou]

Il va falloir que je revienne ... lire autrement qu'en diagonale... je viens de découvrir avec cet article que je n'étais pas seule... merci

[Elda]

C'est de l'autre sexe... Pardon --' (merci correcteur, vraiment) ^^'

[Elda]

Coucou :) J'adore cet article ;) D' ailleurs je connais un couple (hétéro mais c'est pas le problème) qui s'interdisent mutuellement de parler aux personnes de plaire sexe en fait... Par peur de tromperies et tout ce qui est sensé aller avec d'après eux... J'essaie vraiment de les aider sans trop me mêler de leurs histoires. Ils mènent une drôle de vie :/ Finalement je me suis décidée à les laisser vivre --' ... Ouais en tout cas, merci d'avoir lu ces quelques lignes ^^

[Gobelalune]

Waw, ça faisait longtemps que je n'avais pas lu TOUS les commentaires sous un article :)

C'est hyper intéressant, et je me retrouve beaucoup dans ce que tu dis, j'aurais pu écrire aussi une bonne partie de cet article ^^.

J'ai une relation libre depuis quelques temps, et j'adore aussi ce truc de priorité/énergie : cette relation est celle à laquelle j'accorde le plus d'énergie, elle est ma priorité pour le moment, mais en aucun cas cela ne me coupe des rencontres et des autres relations que je peux avoir, avec des ami-e-s notamment. C'est parfois difficile, car c'est la première fois, pour lui comme pour moi, que nous vivons ce genre de choses, que nous nous laissons cette possibilité et cette liberté, mais je pense (et j'ai toujours pensé, au fond de moi), que le plus important, c'est ce qu'on partage, l'amour entre deux êtres, et si cet amour est vrai, peu importe qu'il y en ait d'autres : l'amour n'a pas de limite ou de frontières, il y a toujours de la place pour l'amour :)

Alors bien-sûr, la jalousie est parfois difficile à gérer, mais en effet, demander un câlin quand on sent venir la crise de jalousie ou lieu de rester le ventre noué pendant des heures, c'est essentiel !



Voilà, c'est drôle car cet article arrive un peu à pic avec des réflexions que je me fais depuis plusieurs mois, et ce genre de relation que je vis m'a poussé et me pousse encore et toujours à remettre en question et à évacuer des vieux schémas qui ne m'appartiennent pas, mais qui me polluent et m'ont rendu malheureuse par le passé, lorsque je leur obéissais au doigt et à l'oeil.

La liberté, c'est comprendre et accepter d'être seul, et en être heureux. Seul au fond, avec sa vie, ses choix, ses décisions. Et si quelques personnes peuvent partager notre chemin de vie, tant mieux, mais il ne faut jamais s'enterrer, s'enfermer, pour quelqu'un ou quelque chose... C'est une erreur (pour ma part) que je ne veux plus refaire :)



Merci pour cette belle réflexion développée encore dans les commentaire !



Des bisous